Les gestes de la prière chrétienne.

Dans la liturgie chrétienne, il y a la Parole, le Chant et les Gestes.

La tradition nous a transmis des gestes qui accompagnent et précèdent même la parole. Ces gestes conduisent à des attitudes où le corps, la sensibilité et l'esprit sont liés indissolublement. « Les séparer, c'est détruire cette Présence de Dieu au milieu des hommes » selon Hélène Lubienska de Lenval, amie et disciple de Maria Montessori (La liturgie du geste , Ed. Casterman, Paris, 1957).   Pour elle, les attitudes corporelles expriment le mouvement intérieur de notre prière. Regardons les grands priants de la Bible : ils prient en levant les mains comme Moïse (Exode 17, 10), en battant des mains ou en dansant comme le chantent les psaumes, (Psaumes 94, 150…) en levant les yeux, tel Jésus s'adressant à son Père, (Jn 17, 1) en se prosternant comme l'Aveugle-né devant Jésus. (Jn 9, 38)

Quand nous ne trouvons plus les mots de la prière ou n'avons plus la force de les dire, il nous reste le langage du corps : les gestes.

Marcher vers…

C'est le premier geste : marcher vers l'église, marcher en procession vers l'autel.
Un geste d'engagement ! L'attitude du voyageur, du pèlerin. On fait la démarche. C'est un signe d'espérance.

Se tenir debout. 

Le premier geste essentiel et caractéristique de l'homme est de se mettre debout. Même l'anthropoïde n'a pas cette capacité de verticalisation totale. « Etre debout, c'est être libre ! » (Marcel JOUSSE, Sorbonne, L'anthropologie du mimisme et le rythme oral , 7e cours, p. 153)
Expression de la vigilance et de la disponibilité de notre corps.
« La conscience prend son appui sur la plante des pieds. » (Hélène LUBIENSKA de Lenval, L'éducation de l'homme conscient , Spes, 1956, p. 30)
Au Moyen Age, être couché équivalait à être mort. C'est pourquoi on dormait assis.
Se tenir debout, c'est l'attitude du vivant !
Attitude biblique : « Quand tu te mettras debout pour prier, pardonne… » (Mt 11/25) ; « Il se leva pour faire la lecture… » (Luc 4/14-16).
« Celui qui prie debout court vers Dieu », disait saint Hilaire de Poitiers (315-367). Saint Justin - au 2e siècle - recommandait déjà d'être debout pendant la prière eucharistique. Le 1er Concile de Nicée (en 325) interdisait de se mettre à genoux le dimanche (canon 20) par respect pour un Dieu qui nous veut debout et en marche ! Saint Augustin dit dans une de ses lettres qu'il ne sait pas si c'est partout dans le monde que l'on prie debout le dimanche et pendant tout le temps pascal ; « mais, ajoute-t-il, l'Eglise ne voit pas d'un bon oeil que l'on s'agenouille pour prier durant ces périodes de l'année. » (Epist. 55, 17-32 )

Lever les mains …

Les évangélistes ne disent pas explicitement quelle était l'attitude de Jésus quand il priait. Ils ne disent jamais ce qui va de soi. Pour eux, il va de soi que l'on prie debout, les mains levées. C'est l'usage. Tout le monde prie ainsi et Jésus prie comme tout le monde.
L'iconographie des premiers siècles en témoigne abondamment.
Geste d'intercession, d'ouverture et d'accueil.

Tendre les mains. 

C'est le premier et presque l'unique geste que fait le petit enfant, dès les premiers jours qui suivent sa naissance : étendre les mains pour saisir l'univers qui l'entoure.
« Les mains ouvertes devant toi, Seigneur, pour t'offrir le monde… »
Mains ouvertes pour offrir.
Mains ouvertes pour saisir.
Mains ouvertes pour recevoir le pain de vie, comme les chrétiens des premiers siècles.

Saint Cyrille de Jérusalem (313-386) conseille aux fidèles de « former un trône avec leurs mains pour y recevoir le Roi ». Et il ajoute : « Dans le creux de ta main, reçois le Corps du Christ en disant : Amen ! » Quant à Saint Augustin, il présentait le pain de vie, demandant à chacun son prénom, puis il ajoutait : « Deviens ce que tu reçois : le corps du Christ. »

Se frapper la poitrine. 

Un geste qui précède la parole. Le publicain de l'évangile se frappait la poitrine. Ce n'était pas un geste creux, usé par la routine – comme en témoigne le récit de l'évangile - mais un engagement de toute sa personne.
« Se frapper », expression forte que les chrétiens d'Hippone prenaient à la lettre !
Saint Augustin rapporte que dès qu'était dite, dans son église, la formule « Pardonnez-nous nos offenses » ou même le simple mot « Confiteor », aussitôt, les poings volaient sur la poitrine en donnant un coup retentissant. Augustin veut bien que l'on se frappe la poitrine en ayant des sentiments de contrition, mais pour lui la conversion du coeur doit accompagner les gestes. « Je vois où votre corps est étendu, mais je me demande où votre esprit voltige ? Je vois vos membres étendus sur le sol, mais montrez-moi si votre conscience se tient droite ! » (In ps. 140, 18)


Le signe de la croix

Pour les chrétiens des deux premiers siècles, la croix ne représentait qu'un supplice infâme infligé par les romains à des milliers de pauvres gens. La croix ne figure pas parmi les fresques trouvées dans les catacombes. Tertullien (+ vers 220) est le premier à en parler de manière explicite. Les représentations de la croix et jusqu'à la période carolingienne, nous montrent un christ glorieux, sur une croix décorée de pierres précieuses. Les représentations doloristes viendront beaucoup plus tard.

Faire le geste de tracer sur soi une croix est entré dans les habitudes de toutes les confessions chrétiennes. En orient, on s'incline en s'accompagnant d'un ample signe de croix. Belle pratique habituelle des orthodoxes : je m'habille de la croix.

S'asseoir pour prier.

« Alors, le roi David entra et s'assit devant Yahwe… » (2 Samuel 7, 18)
Attitude familière d'écoute et de disponibilité, celle de deux amis qui échangent en toute simplicité.

Le salut de paix.

L'accolade, le baiser ou la poignée de main.
Gestes fraternels qui contribuent à souder la communauté.

S'agenouiller.

Geste emprunté à la cour royale de Perse. On le pratiquait en saluant le roi, considéré comme un dieu.
Les Empereurs romains l'exigèrent à leur tour. On comprend le refus de la génuflexion par les premiers chrétiens. Ils refusaient d'adorer l'image de l'Empereur et souvent au prix de leur vie.
Au 3e siècle, l'Etat romain déclara officiellement que la génuflexion n'appartenait plus aux rites de la religion païenne, mais exprimait simplement la « loyauté civique ». Cependant l'Eglise postérieure à Constantin n'osa pas tirer les conséquences de cet état de fait. Elle permit et obligea même les fidèles à s'agenouiller devant l'autel, les reliques et les images des saints.
Lorsque les évêques furent assimilés aux plus hauts dignitaires de l'Etat, ils reçurent des terres, des privilèges, des titres de Prince, Eminence, Monseigneur. L'évêque de Rome prit même le rang de Sa Majesté Impériale. On lui donna le titre de « Sa Sainteté ». Comme l'Empereur, on lui baisait les pieds. Il eut le droit de porter l'anneau et d'être salué par une génuflexion. Ces privilèges impériaux devinrent aussi ceux des évêques. C'est le pape Jean XXIII qui a fait supprimer ces génuflexions.
Au Moyen Age, le vassal s'agenouillait devant son suzerain pour la cérémonie d'adoubement. Plus tard, en réaction contre ceux qui niaient la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie, l'Eglise romaine a maintenu la génuflexion comme geste d'adoration, se référant au texte de St Paul : « Qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et dans les enfers… » (Phil. 2/9)

S'incliner

A l'agenouillement, les autres liturgies ont préféré le geste de s'incliner. C'est un geste de salutation et de respect que l'on retrouve dans les rites cisterciens, dominicains, gallicans ou orientaux.

Rompre le pain

Les 1ers chrétiens appelaient ce geste « la fraction du pain ».
Geste rituel dans l'ancien Testament: « Voici le pain de détresse que nos pères ont mangé à leur sortie d'Egypte ». On le partageait au moment de manger l'agneau pascal.
Au moment où, en compagnie des disciples d'Emmaüs, Jésus rompit le pain, « leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent ». (Luc 16, 30)

Jésus devait avoir une manière bien à lui de faire ce geste !
Dans la liturgie chrétienne, la fraction du pain est accompagnée du chant de « l'Agneau de Dieu » qu'on appelle « le chant de la fraction ».

En guise de conclusion

Chez nous, occidentaux, les corps sont un peu raidis par nos conceptions cartésiennes. La gestuelle est codifiée, raisonnée, alors qu'en Afrique ou dans les pays d'Amérique du Sud, l'on voit les gens qui se balancent et qui dansent au rythme des chants. Les enfants aussi se livrent plus facilement à une gestuelle expressive qui rejoint celle des anciens.

Au 12e siècle, Saint Dominique pratiquait comme tant d'autres la prière corporelle « tellement saisi par l'amour du Christ pour lui, qu'il lui répond avec tout son être par des gestes et des postures différentes ». (Manuscrit des neuf manières corporelles de prier de saint Dominique)

Laissons comme eux parler nos gestes devant Dieu !

Paul SPIES